Jeanne Dortzal: Matin d'automne (1908)
Matin d'automne
Regarde, le soleil escalade la vigne,
Ouvrons vite la porte à ce grand fou,
Car il se pourrait fort que le filou
Allât chez le voisin malgré notre consigne.
Ah! l'exquise journée! et qu'il fera bon vivre
N'ayant pour seul souci que notre amour;
Enlace-moi, veux-tu, voici le jour;
Le jardin sous sourit dans l'ombre qu'il enivre.
Il me plairait de t'emmener très loin d'ici,
A travers bois, sous ce grand ciel qui les endeuille;
Nous marcherions très lentement, comme ceci,
La forêt, sous nos pas, ferait chanter ses feuilles.
Pourquoi toujours cet air adorable et moqueur?
Entends plutôt ce bruit de source dans la vasque,
Reconnais-tu ce ton badin, un peu fantasque?
On dirait que la source a passé par ton coeur.
La forêt ce matin, a pris son air d'automne,
Quelques feuilles déjà volent vers la maison;
Septembre a retrouvé sa grâce monotone,
Une immense douceur monte de la saison.
Te serais-tu douté qu'il existait encore
Mille petites fleurs d'un rose éblouissant?
Prends ces branches, regarde, on dirait que l'aurore
A mis sur chaque tige une goutte de sang.
Que ce jardin me paraît grand dans le silence,
Que l'air qu'on y respire est tiède et lumineux;
Ce jardin n'est-il pas un jardin merveilleux
Puisqu'il nous fait rêver d'un bonheur plus intense.
Variations sur un même thème (Le Jardin des Dieux, 1908)