Natalie Barney: Avril (1900)
Avril
Avril le séducteur, sur un long arc-en-ciel,
Est tombé jusqu'à terre avec son beau sourire,
Et dans chaque calice il verse un peu de miel
Et dans le coeur de tous un peu de son délire.
Chaque chose frissonne à son baiser d'amour;
Le monde est amoureux et la nature entière
S'offre, se faisant belle, afin de plaire au jour
Tout irisé de joie et prodigue en lumière.
Avril s'épanouit, et ce charmant décor
L'acclame pour amant, et sa jeune démence
Rit et pleure à la fois, fière du rayon d'or
Qui se glisse partout, fidèle à l'inconstance.
Toutes les fleurs sont femme, offrant leurs frêles seins
Et leur plus beau pétale au gai printemps qui passe,
(Ses bras sont grands ouverts - pour saisir les parfums?)
Avide de beauté, de tout ce qu'elle enchâsse.
La fleur de l'amandier a perdu ses couleurs,
De pleurer son avril ou de n'être plus vierge?
L'amour qui s'est enfui laisse peu de douceurs,
La flamme qui s'endort laisse bien froid le cierge.
Et la fleur a des regrets d'avoir tant aimé,
Puisque voilà l'été qui brûle ardent en elle,
Puisque dans son flanc las elle sent qu'a germé
Quelque chose de lourd comme une perte d'aile.
Oh! la triste saison quand tout porte son fruit,
Quand l'amour se difforme aux lois de la matière,
Quand, après le parfum des éphémères nuits,
L'existence devient prose et la femme mère!
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